Bethesda, une formule qui traîne des pieds (et des casseroles)

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Cela ne vous aura sûrement pas échappé (ou alors vous le faites vraiment exprès), mais Fallout 4 est sorti. Et avec lui, un flot de critiques positives comme négatives, souvent plus dirigées vers Bethesda que vers le jeu en lui-même. D’un côté, les fans de la première heure de Fallout, qui regrettent l’écriture acerbe de cet univers post-apocalyptique et les possibilités de roleplay ; de l’autre les amateurs de Bethesda, qui trouvent une nouvelle fois leur bonheur dans un monde dense et façonné avec talent, rempli de contenu et de petites perles d’ambiance et de direction artistique. Dans les deux cas, une chose est claire: avec Fallout 4, Bethesda démontre une tendance à stagner, refusant encore de se remettre en question. Avec une formule qui a plus de 10 ans.

Fin 2002, un ouragan s’apprête à arriver sur PC (et XBox). Premier épisode canonique de la série Elder Scrolls à être entièrement en 3D et avec une map conçue et remplie à la main, Morrowind a mis une claque à beaucoup de joueurs. Seulement un an après que GTA III ait révolutionné l’open-world avec sa 3D offrant une immersion et un sentiment de liberté jusque là jamais atteint, Morrowind révolutionne le RPG occidental en y appliquant cette formule open-world. Une région entière s’offre au joueur, qui a toute liberté de s’y promener, découvrir villes, grottes et donjons, discuter avec chaque PNJ pour récupérer des quêtes, bref une expérience mettant en avant l’univers du jeu. On reconnait déjà le leitmotiv de Bethesda: le personnage principal du jeu, c’est l’univers dans lequel le joueur évolue. C’est lui qui donne le ton du jeu, son ambiance, ses thèmes. On pourra à nouveau constater cette volonté avec les Elder Scrolls suivants, Oblivion et Skyrim, qui ont chacun une véritable personnalité qui leur est propre. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard: le monde de Tamriel, dans lequel se déroule la série, est découpé en provinces qui ont chacune une identité forte, grâce notamment à leurs cultures respectives. Ce découpage permet à la série d’offrir des jeux aux feelings très différents d’un titre à l’autre, malgré un ADN commun.

Chaque province de Tamriel est le berceau d'une civilisation, avec chacune leur culture, leur mode de vie

Chaque province de Tamriel est le berceau d’une civilisation, avec chacune leur culture, leur mode de vie, et leur ambiance visuelle. N’est-ce pas, Elder Scrolls Online ?

Cet ADN commun, c’est ce qui a fait la force de la série Elder Scrolls: des jeux basés sur la promenade, une invitation au voyage qui n’a de cesse de titiller la curiosité du joueur. Avant d’être des RPG, les Elder Scrolls sont avant tout des jeux d’exploration, où le joueur est lâché dans la nature, laissé libre de ses actions. Et c’est là que Bethesda excelle. Leurs open-world sont remplis de points d’intérêts, disposés sur la map de façon à attirer le regard du joueur et le pousser à s’y diriger, quitte à mettre de côté la quête en cours. Et en s’y dirigeant, le joueur notera d’autres éléments intrigants qu’il s’empressera de visiter par la suite. C’est une formule qui s’est affinée au fur et à mesure des jeux Bethesda, grâce au savoir-faire acquis mais aussi aux évolutions techniques. La boussole signalant tous les points d’intérêts autours du joueur, intégrée dès Oblivion, est la parfaite illustration de cette formule qui ne cesse de susurrer aux oreilles des joueurs « Hé, si tu allais voir là-bas ? Et là-bas ? Et là aussi, tiens ? Oh, et regarde, il y a quelque chose par là aussi ! Tu veux aller y jeter un oeil ? » On ne joue pas à Elder Scrolls pour ses combats (non, vraiment pas) ou pour ses systèmes de RPG, qui malgré quelques bonnes idées restent simples et loin d’égaler la profondeur d’un Gothic par exemple. Ou y joue pour le voyage qu’ils offrent, pour le plaisir de se perdre dans ces environnements enchanteurs remplis de secrets, cavernes, forts abandonnés et donjons en tout genre.

Se perdre dans les bois, guidé (ou non) par les indications de la boussole... ah oui et c'est un RPG aussi.

Le but de Skyrim: se perdre dans les bois, guidé (ou non) par les indications de la boussole… ah oui et c’est aussi un RPG où on doit sauver le monde, ou un truc comme ça.

Pendant que Bethesda ravit le monde avec son Morrowind, les problèmes financiers commencent à frapper Interplay, les papas de Fallout. Si bien qu’en 2004, la boîte vend les droits de Fallout à Bethesda, qui était en train de préparer le nouvel Elder Scrolls, Oblivion. C’est désormais à eux qu’incombe la lourde tâche de développer Fallout 3, et de moderniser la formule Fallout (le précédent épisode canonique était sorti en 1998). On pourra alors espérer que le studio saura s’adapter à Fallout, à ce qui fait son charme: son écriture remplie d’humour plus ou moins noir, son ton politiquement incorrect, la liberté laissée au joueur d’incarner qui il veut (même la pire des raclures) d’intégrer et d’impacter le monde du jeu comme il l’entend, le tout dans un univers teinté de gris où tout le monde est le méchant d’un autre. Le genre de jeu qui demande un talent d’écriture certain, ne serait-ce pour éviter que le joueur se retrouve bloqué parce qu’il a tué tel ou tel PNJ, ou faction entière. Comment Bethesda allait adapter sa formule à l’ADN Fallout ? En adaptant Fallout à la formule Bethesda.

Les Fallout de Bethesda (le 3 et le 4, New Vegas est mis à part étant développé et surtout écrit par Obsidian) sont clairement les héritiers des Elder Scrolls. Les jeux poussent à l’exploration de la même façon qu’un Oblivion ou un Skyrim, via la boussole et l’environnement façonné de manière à récompenser le joueur qui s’écarte des chemins tout tracés. Sauf qu’ici, on oublie l’émerveillement des paysages fantastiques de Tamriel. Les Terres Désolées ne sont pas forcément propices à cet émerveillement, mais pourtant les artistes de Bethesda ont réussi un travail exemplaire à ce niveau là. Toutes désolées qu’elles sont, les terres de Fallout 3 et 4 regorgent de lieux et de moments d’ambiance formidables, grâce à une direction artistique maîtrisée. Le savoir-faire de Bethesda porte ici ses fruits, et assure avec talent la transition en 3D de l’univers post-apocalyptique de Fallout.

Même en étant vilains, les Fallout de Bethesda arrivent à nous immerger grâce à une ambiance impeccable

Même en étant techniquement vilains, les Fallout de Bethesda arrivent à nous immerger grâce à une ambiance impeccable

Malheureusement, et malgré toutes les forces de la formule Bethesda, il y a un point sur lequel le développeur n’a jamais réellement brillé: l’écriture. Ce qui est d’autant plus regrettable que les Elder Scrolls soulèvent des thèmes culturels et politiques intéressants (Morrowind et Skyrim en tête), grâce au lore particulièrement riche et fourni de la série. Au final, les moments où l’écriture de Bethesda peut se démarquer, c’est lorsqu’elle raconte des histoires qui ne sont pas liées au jeu ou au joueur en eux-mêmes, dans des livres dispersés à travers la carte et qui viennent étoffer l’histoire de Tamriel. Mais en jeu, les quêtes sont plutôt basiques et le joueur ne ressent pas vraiment l’impact qu’il devrait avoir sur le monde. Ce qui était l’une des principales forces de Fallout est l’une des plus grosses faiblesses de Bethesda, et ni Fallout 3 ni Fallout 4 n’ont réussi à inverser la tendance. Mais, comme leurs désormais grands frères Elder Scrolls, les Fallout profitent d’histoires et informations à glaner un peu partout sur la map, qui ajoutent au lore et à la richesse de l’univers. Prenant la forme de terminaux informatiques au lieu de livres, ces éléments profitent en plus de l’univers post-apocalyptique: ils racontent la vie des survivants et des personnes ayant vécu ou travaillé dans tel ou tel bâtiment, ajoutant à cette immersion et à cet aspect « il y avait de la vie ici ». C’est un point sur lequel Bethesda a fait énormément de progrès depuis Oblivion et ses donjons générés de façon procédurale qui se ressemblaient tous. Déjà, dans Skyrim, de nombreux lieux avaient leur propre histoire, racontée surtout via des notes ou journaux récupérés à l’intérieur de ceux-ci. Dans Fallout 4, l’histoire des lieux est aussi racontée directement via l’environnement du lieu en lui-même, via ses décors, son mobilier, son aménagement, et les terminaux viennent compléter son histoire.

L'exploration du bunker du Maire se fait en découvrant une histoire simple, mais très efficace

L’exploration du bunker du Maire se fait en découvrant une histoire simple, mais très efficace

Si Fallout a bénéficié des qualités de Bethesda, il a aussi hérité de leurs défauts. Et malheureusement, on ne peut parler de Bethesda sans mentionner le manque de finition de leurs jeux. Tournant sur la base du moteur de Morrowind rafistolé au chatterton et à la pompe à dessouder, les jeux Bethesda sont livrés dans un état pitoyable. Bugs à foison, crashs, interface imbitable au clavier/souris, technique à la ramasse, corruptions de sauvegardes et j’en passe, on a droit à tout ce que l’industrie peut offrir de pire. Et si on pouvait les excuser en 2002 quand ils révolutionnaient un genre, aujourd’hui Bethesda ne sont plus les seuls à faire des RPG en monde ouvert. Et surtout, ils ont l’habitude d’en faire, et après plus de 10 ans à recevoir les mêmes critiques leurs jeux sont toujours finis à la truelle, toujours avec les mêmes problèmes. Et ce n’est pas le seul aspect sur lequel Bethesda ne s’améliore pas. Fallout 4 était l’occasion pour Bethesda de prendre le devant sur les critiques en mettant l’accent sur l’écriture et en tirant les enseignements du travail d’Obsidian sur Fallout New Vegas. Sauf que…

Les choix de dialogue de Fallout 4 sont limités à leur plus simple appareil. Voire même moins.

Les choix de dialogue de Fallout 4 sont limités à leur plus simple appareil. Voire même moins. (screenshot de Corentin Lamy)

Si Fallout 4 affine la formule Bethesda sur certains points, sur d’autres il fait marche arrière. Niveau écriture des dialogues, des quêtes et des relations entre le joueur et les PNJ, le jeu est loin d’offrir la qualité d’un New Vegas. Certes, il a plein d’histoires à raconter et un lore à étoffer (ce qu’il fait très bien) mais l’écriture générale se révèle facile et fade, surtout pour un Fallout. Adieu l’humour noir et le politiquement incorrect, les quêtes originales et vraiment intéressantes se font rares (elles existent, mais noyées dans un tas de quêtes sans grand intérêt). Bonjour le manichéen, dans Fallout 4 on est un gentil et on se bat contre des méchants. Le principal problème de Fallout 4, c’est qu’il améliore les points forts des jeux Bethesda, mais ne fait rien pour les points faibles. On trouve toujours les mêmes défauts, et certains sont encore pire qu’avant. La formule commence à montrer ses limites, et j’ai beau l’apprécier je commence à avoir peur de m’en lasser. Surtout qu’un certain The Witcher 3 est passé par là, mettant une claque monumentale au RPG occidental. Visuellement, artistiquement, dans la construction du monde et son écriture, sa capacité à intégrer le joueur dans ce monde et à rendre ses actes et ses choix impactant, sa facilité à distribuer des quêtes secondaires passionnantes, The Witcher 3 a placé la barre très haut et il est difficile de ne pas trouver les jeux Bethesda un peu fades désormais.

Le charme des jeux Bethesda reste indéniable, mais il leur manque désormais ce petit quelque chose pour rester dans la cour des grands

Le charme des jeux Bethesda reste indéniable, mais on attend dorénavant un travail sur les défauts qui leur collent à la peau depuis plus de 10 ans.

Il serait temps que Bethesda se remette en question et s’inspire de la concurrence (ou même des partenaires. Coucou Obsidian et New Vegas !). L’industrie a évolué, mais pas leur formule. Si ce qui nous émerveillait il y a 10 ans nous fait toujours vibrer, les défauts sur lesquels on acceptait de fermer les yeux deviennent de moins en moins tolérables. Avec Fallout 4, Bethesda a confirmé son savoir-faire: narration par les décors, direction artistique, construction d’un monde dense dans lequel le joueur a envie de se perdre, ambiance visuelle et sonore, et ce malgré un moteur à la peine. Quant aux défauts historiques de Bethesda, ils sont toujours là, et on devra attendre le prochain Elder Scrolls pour voir à quel point la société est prête à faire des efforts. La proximité des genres rendra la comparaison avec The Witcher 3 encore plus évidente et encore plus douloureuse pour Bethesda. A eux de nous montrer qu’ils ont toujours leur place dans la cour des grands.

8 réponses à “Bethesda, une formule qui traîne des pieds (et des casseroles)

  1. Très chouette article, y compris pour quelqu’un comme moi qui connais très mal Bethesda.
    Je dois quand même avouer que la façon dont tu parles de ton expérience sur « Fallout 4 » a tendance à me refroidir un peu…

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    • Je t’avoue que je pointe surtout le négatif, mais au final je prends quand même du plaisir dessus, ça reste un très bon jeu Bethesda. Mais après avoir passé bien trop de temps sur Skyrim et après m’être pris la claque Witcher 3, je relativise quand même.
      Il faut juste savoir à quoi s’attendre, pour les défauts mais aussi pour les qualités 🙂

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  2. Tout à fait d’accord avec toi, ce jeu c’est un pas en avant et trois en arrière sauf que derrière il n’y a plus personne vu que tout le monde à fait un ou deux pas en avant depuis le temps. On peut dire que ça ne « marche » plus chez Bethesda.

    Je veux mon Fallout New Francisco par Obsidian moi ! 😦

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  3. Fan des premiers Fallout, je n’arrive pas vraiment à rentrer dans les opus faits par Bethesda. J’ai pourtant essayé (voulant ne pas faire la fan braquée ^^) mais rien n’y fait. Le Fallout de Bethesda manque cruellement d’âme…
    Heureusement qu’Obsidian a sauvé les meubles avec New Vegas.
    En tout cas merci pour cet article intéressant 🙂

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  4. Pingback: TFGA #15: L’article original où je fais le bilan de 2015 | Chouquette Annexe - Dehell·

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